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La cérémonie du printemps à Soji-ji

Dernière mise à jour : 10 juin 2020


Chaque année au moment de l’équinoxe du printemps, les célébrations de o higan ( l’autre rive) chasse l’hiver des temples . C’est l’occasion pour le tenzo ( cuisinier zen ) de nous offrir le cœur de sa pratique, la paramitta de l’enthousiasme vigoureux.


C’est accueilli par un Daikokuten de 2 mètres , la déité de l’abondance et des fours que je passe la porte du temple . Je m’incline 3 fois comme il se doit avant de déposer mes chaussures dans les petits box en bois réservés à cet effet. Cela fait 7 ans que je n'y suis pas revenue, le temps se plie , c'était hier . Matsuda san m’attend, nous sommes à Soji-ji , le premier temple de formation de l’école Soto qui compte 15 000 temples dans le Japon . C’est l’équinoxe du printemps et les célébrations o higan ont commencé depuis quelques jours. Le temple est affairé, Matsuda san aussi.

Aujourd’hui c’est la cérémonie de la nourriture, l’offrande aux gakis, les êtres faméliques qui seraient coincés dans l’un des 6 mondes et qui représentent aussi notre part insatiable. C’est également la nourriture offerte aux ancêtres. Avant de nous y rendre Matsuda san me conte une histoire «il y a longtemps dans un temple un moine fit un cauchemar où il vit sa mère en enfer. Il demanda au maître ce qu’il pouvait faire et celui-ci lui répondit d’aller nourrir tous les êtres ». Dans le hattô ( hall des cérémonies au grand bouddha ) les moines s’installent à genoux ( seza) , de chaque côté le bouddha et un autel de 3 mètres où sont posées les offrandes cuisinées par le tenzo , le cuisinier du temple. Le menu est composé de Riz cru, de concombre vinaigré et de légumes bouillis.

Une fois le maître assis , les chants se lèvent . la cérémonie commence et je me laisse porter par 300 voix que les clochent conduisent. A la fin les invités montent à l’autel et face à cette nourriture nous levons par 2 fois l’encens à notre front puis nous nous inclinons en leur mémoire. L’histoire du moine devient réelle et j’ai le sentiment profond que par cet acte corporel le lien invisible s’incarne et se nourrit et que ma part affamée se rassasie.

Nous nous rendons ensuite dans le hall principal, en passant par les vieux bâtiments de bois, un labyrinthe de petites pièces croisées de jardins japonais. La mémoire ici n’appartient pas au passé , elle est vivante . Le temps s’efface et se superpose. Je crois revoir des visages d’il y a 10 ans , d’il y a 100 ans.

Nous arrivons dans une immense salle de banquet accueilli par le tenzo en personne sur la table , 3 plateaux de 9 bols nous attendent. Devant moi Tettsu Igarashi san, un homme assuré de 70 ans qui semble aussi fort qu’un roc et à qui je sens qu’il ne faut pas faire perdre son temps. Quand je lui demande de quelle manière il compose ses menus , il me répond qu’il n’y a pas de recettes autre que la pratique  «la pratique c’est mae atari » répond il avec force et enthousiasme, « c’est faire avec ce qu’il y a devant soi » . Venu du monde laïque son parcours est fulgurant . Ordonné moine en 2004 il reçu de Koganayama Roshi et Tsubokawa roshi ce qu’il appelle le cœur du tenzo «  tenzo no cocoro » et l’esprit du cuisinier : ne pas gâcher, la pratique de la situation , des produits de saison, des ingrédients peu onéreux ni luxueux. Aujourd’hui à la tête des repas de 300 moines au quotidien et également cuisinier des repas d’invités tel que celui que j’ai l’honore de goûter , il porte en lui la responsabilité de transmettre ce qu’il a reçu de ses maîtres.

Le menu du jour est conçu pour la cérémonie de l’équinoxe . Ce moment particulier où le jour est égal à la nuit qui dans le bouddhisme signifie l’espace où le monde des vivants et des morts se rencontrent, ou la lumière et l’ombre se confondent. « La nourriture à le goût des ancêtres et devient la saveur de notre vie » nous dit le tenzo.

Shojin , l’enthousiasme vigoureux, l’assiduité joyeuse est l’une des 6 paramitta vers le nirvana dans le bouddhisme , vers cet au-delà que l’on ne trouve qu’en nous même , en cultivant ces 6 qualités . C’est Dogen le fondateur de cette école qui rapprocha la paramita de l’enthousiasme vigoureux ( Vyria en sanscrit) à la cuisine car c’est par notre vie quotidienne que dans le zen soto la merveilleuse réalité se déploie.

« La shojin ryôri ( la cuisine de la pratique de l’enthousiasme) c’est shugyô » continue t’il de sa voix affirmée en plongeant ses yeux dans les miens. (Gyou c’est la pratique, shu c’est cultiver, étudier , s’entrainer) « la pratique du tenzo c’est éclairer son cœur et clarifier son esprit  avec ce qui vient, dans l’action.  Nous ne choisissons pas les ingrédients ou ce que l’on mange , c’est aussi cela shugyô , vivre avec ce qui est à chaque instant . C’est cela le zen de Dogen ». Sur ces mots ils nous invitent d’un geste à goûter cette shôjin ryôri aux couleurs du printemps frémissant.

Au menu la base des 3 bols des moines avec un riz cuit aux bambous frais ( takenoko) et une pointe d’umeboshi ( prune macérée au sel), quelques radis blancs lactofermenté ( daikon), une soupe de tofu frit (tofuagemisojiru), un faux tofu de sésame à la sauce miso ( gomadoufu), un tempura de pousses sauvages ( tempurasenzai) arrosé d’un agrume ( sudachi), quelques asperges sauvages à la sauce ponzu ( faite de yuzu, sucre et sauce soja) , et du yuba ( la peau du lait de soja) accompagné de konjac et de carottes.

Le repas terminé , je retrouve cette satiété si particulière à la shôjin ryôri qui touche au contentement de l’âme. Oui le printemps arrive, c’est la nourriture qui me le dit.


Toutes les photos ici


*Cette déité est typique du syncrétisme shinto-bouddhiste , elle protège l‘agriculture, le riz, la cuisine et l’abondance en général. C’est l’un des 7 dieux japonais et on l’associe à la bonne fortune.

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