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Photo du rédacteurValérie Duvauchelle

Continuer de marcher

Dernière mise à jour : 10 juin 2020



Dans le contexte de désoeuvrement de nos hôpitaux et des familles des malades je repense au film Tenzo* tourné après la catastrophe de Fukushima. Face à une société qui ne peut faire face à l’ampleur de la situation les moines improvisent au jour le jour dans la pratique de la situation. Leur message résonne tout particulièrement dans le contexte que nous vivons.

Chiken , cuisinier de la pratique zen ( tenzo) est tout juste sorti de ses années de formation à Eihei -ji et Ryûgyô devenu manutentionnaire sur les chantiers de déblaiement après que son temple fut détruit est resté à Fukushima. Quelques mois après la catastrophe Katsuya Tomita est retourné à Fukushima et a filmé ses proches devenus personnages de son film . Construit autour des 6 saveurs de la cuisine zen, son regard nous invite à retrouver le subtil ( la 6ème saveur) qui prend ici le goût de l’impuissance. Plongés dans le chaos, les ruines , le désespoir alcoolisé nous sommes loin des images d’Épinal du zen, tout ici nous parle de chair et d’os, d’humanité. La réalité est montrée telle qu’elle est, on y voit des temples désertés et des moines qui s’assoient seuls. Dépassés par une religion qui n’arrive plus à s’accorder avec son temps et qui pourtant est là, debout grâce à tous ces jeunes bonzes livrés à eux-mêmes on découvre des hommes qui continuent de marcher, de s’assoir, de manger. Des hommes vivants au cœur de l’inconnu qui font avec ce qu’il y a au jour le jour. On rencontre Kondo œuvrant 24 h sur 24 à écouter l’inquiétude de tous les désœuvrés sur la «  buddha line » **, Ryûgyô s’autorisant à boire pour mieux continuer de déblayer le lendemain et ce jeune tenzo qui ne cuisine plus que pour lui et qui perdu va chercher conseil auprès de la maître.

C’est certainement dans les paroles de la moniale Shunto Aoyama qu’il prend la mesure du désarroi dans lequel il se trouve. Plein de bonnes attentions et partageant son envie de proposer des cours de cuisine zen vegan, il se fait recadrer par la maître qui lui rappelle que la shôjin ryôri ( cuisine zen ) est l’expression profonde du zen  et non une diététique. Sa pratique quotidienne nous permet de réaliser combien nous dépendons de la vie des autres dans la situation qui nous est donnée.

Cette rencontre le remet sur son chemin et quand il retrouve son ami sous les étoiles c’est pour se répéter , tel un écho de leur mémoire oubliée les mots de maître Dogen :

«... Ce que fait un autre n’est pas fait par moi»,

extraits du tenzo Kyokun ***. Et dans ce paysage apocalyptique cette phrase devient leur lampe : ils réalisent que si ils ne vivent pas là, maintenant, pleinement , personne ne le fera à leur place .

Dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, cette histoire peut nous inspirer.

Nous aussi nous nous sentons démunis, abandonnés par un gouvernement dépassé et nous vivons l’impuissance face à l’inquiétude de la mort. Pourtant nous continuons d’avancer, un jour à la fois.

« Le zen n’est pas d’être sur le chemin de la sérénité , mais de continuer de marcher quand nous ne voyons plus la route »

De voir avec quelle foi ces moines n’ont de cesse de partager leur pratique, de voir ce tenzo marcher pieds nus dans l’herbe à se laisser cuisiner par le vent, la terre, les oiseaux , nous comprenons le cœur de la pratique, celle du vivant qui ne peut se révéler que dans l’appréciation pleine de ce qui est, tel que c'est.


Partant d'un haiku de Ryokan " le voleur m'a tout pris sauf la lune à ma fenêtre" , le compositeur Dominique Balay évoque également l'espace du vivant au coeur du chaos avec sa pièce " meanwhile in Fukushima". ( photo empruntée à son site) écrite dans le cadre du projet http://fukushima-open-sounds.net/projet/


* Sorti en novembre 2019 le film Tenzo ( Survivance distribution) n’est pas encore disponible en DVD . En attendant le dossier de presse présente des informations intéressantes

**L’institution zen Soto a immédiatement proposée un programme d’écoute avec un numéro vert pour tous les gens du Tohoku. N’ayant pas de culture de l’accompagnement psychologique ce sont les moines qui portent cette responsabilité au Japon .

***Traduction Janine Coursin (Dôgen, instructions au cuisinier zen , le promeneur éditions)



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